
Hua To, grande figure de l’alliance entre Tao et médecine, né en l’an 110 dans le comté de Hao, marcha sur le fil clair du Souffle, reliant silence et remède, plante et pulsation. Sous ses doigts, l’art médical se fit luth: les nerfs vibraient à la caresse de l’aiguille, et la douleur finissait par rendre sa clé. Il laissa un traité comme un jardin de caractères: feuilles de simples, racines patientes, et, plantées entre les lignes, des aiguilles capables de parler au vent des méridiens.
Dans les temples où l’encens écrit la mémoire de l’invisible, sa statuette veille; on dit qu’en retraite, loin des foules, la révélation lui ouvrit la porte discrète des correspondances.
Ainsi ses formules, claires comme des sources, conversent encore avec les sages et les immortels: dialogue de montagne et de nuage, de plante et d’étoile. À qui l’écoute, Hua To murmure que soigner, c’est accorder l’humain au rythme du cosmos, et que chaque souffle, bien guidé, réapprend au corps la danse ancienne de l’harmonie.
Pour la première fois, Hua To introduit la notion de 8 paramètres dialectiques qui deviendront, sous une forme modifiée, la base de la médecine chinoise actuelle.
Ces 8 paramètres sont déterminés par la science de la pulsologie — ou sphygmologie, l’art de capter les signaux émis par le pouls des patients — et l’observation :
- Le Vide et le Plein
- Le Froid et le Chaud
- La Vie et la Mort
- Le Propice et le Défavorable
Les 8 paramètres actuels de la médecine chinoise sont :
- Le Vide et le Plein
- Le Chaud et le Froid
- Le Yin et le Yang
- L’Interne et l’Externe
À la fin de la dynastie des Han de l’Est, lorsque les années se comptaient entre v. 140 et 208, un petit pavillon de bois près d’un village bruissait d’odeurs d’herbes chauffées et de vin tiède. Hua Tuo, nom de courtoisie Yuanhua, y faisait glisser son pilon dans un mortier avec la régularité d’un battement de cœur.
Les Chroniques des Trois Royaumes et le Livre des Han postérieurs rapporteront qu’il fut le premier en Chine à endormir un patient pour la chirurgie. Mais ce soir-là, rien n’avait d’historique pour lui, sinon le souffle court d’un homme allongé et l’inquiétude d’une famille rassemblée sous la lampe à huile.
— Maître Hua… murmura la femme, les doigts crispés sur sa manche. Va-t-il souffrir?
— Pas aujourd’hui, répondit-il doucement. Buvez ceci, ajouta-t-il en tendant au blessé une coupe où le vin, ambré, mêlait son arôme à celui d’une fine poudre.
Le Mafeisan (麻沸散; littéralement « poudre de bouillie de cannabis ») se dissolvait avec lenteur. Les paupières du patient s’alourdirent, ses muscles se relâchèrent. Hua Tuo mit de côté le mortier, essuya la lame, fit signe à l’assistant d’approcher la bassine. La pièce n’offrait pour musique que le crépitement de la mèche et le froissement des vêtements. Le geste partit, précis. Une incision nette, quelques points fermes. Le monde, pour l’homme endormi, s’était déjà éloigné.
Quand le patient émergea, la douleur tardait à revenir, comme retenue au seuil du corps. La femme pleurait de soulagement; Hua Tuo, lui, posait deux doigts sur le pouls, comptant, évaluant, puis rangeait la lame dans sa boîte laquée. Endormir pour opérer, mêler le vin à la formule à base de plantes—une anesthésie générale avant la lettre. La rumeur de son audace courut plus vite que les rivières.
Le jour, on le voyait planter de fines aiguilles le long de méridiens qu’il connaissait par cœur, allumer sur la peau les petits cônes de moxibustion dont la chaleur réveillait des zones silencieuses.
La nuit, on le surprenait parfois, immobile au bord d’un bosquet, à écouter. Le vent portait des bruits de pas dans les feuilles, des souffles, des craquements. Du tigre il notait la puissance qui descend dans les hanches; du cerf, l’allongement souple du cou; de l’ours, la densité qui roule dans l’abdomen; du singe, la vivacité des poignets; de la grue, l’axe qui s’élève entre terre et ciel.
De ces observations naquit le Wuqinxi (五禽戲; littéralement « Jeu des Cinq Animaux »). Sur le sol battu d’une cour, il guidait ses patients en daoyin, la « conduite et étirement » du souffle et des membres. — Tigre, disait-il, et les paumes se courbaient en griffes, les omoplates s’ouvraient. — Cerf, et les bras dessinaient des bois, la respiration filait plus loin. — Ours, et le ventre se réchauffait comme un brasero. — Singe, et les articulations se délestaient. — Grue, et la nuque se dressait, le regard se clarifiait. Les silhouettes, d’abord hésitantes, trouvaient un rythme. Dans les torsions fluides, les muscles se souvenaient; dans les suspensions, le souffle s’allongeait. Il voyait se lever, en de lents remous, l’intelligence naturelle d’autoguérison du corps.
Hua Tuo ne séparait jamais ses arts: l’aiguille complétait la décoction, la moxa prolongeait le geste, l’exercice consolidait l’effet. La médecine, pour lui, n’était pas seulement l’art de couper sans douleur; c’était aussi l’art d’éveiller ce qui, en chacun, sait déjà se réparer. Ainsi, sous le ciel changeant des Han de l’Est, tandis que les chroniques s’écrivaient au loin, lui traçait dans les chairs, la fumée des herbes et la mémoire des bêtes un chemin où la science et le souffle marchaient de concert. Et cette voie, longtemps après, continuera de battre au rythme discret d’une lampe à huile, d’un pilon, d’un cœur apaisé.
Selon les Chroniques des trois royaumes, un fonctionnaire militaire nommé Li Cheng souffrait de toux incessante, l’empêchant de dormir aussi bien le jour que la nuit, et il crachait du pus et du sang régulièrement. Dans sa quête de soulagement, il consulta Hua Tuo. Ce dernier diagnostiqua chez Li Cheng un anthrax intestinal, expliquant que le liquide sanguinolent craché lors de ses quintes de toux ne provenait pas de ses poumons. Hua Tuo prescrivit alors une poudre médicamenteuse de 7,5 g à Li Cheng, lui assurant qu’il expulserait environ deux tasses de pus sanguinolent avant d’arrêter de vomir. Il lui promit également une amélioration de sa santé dans un mois, avec une guérison complète dans un an.
De nombreuses formules médicinales et onguents thérapeutiques, dont l’efficacité a traversé les siècles, portent encore aujourd’hui le nom de Hua Tuo, témoignant de son héritage indélébile dans la pharmacopée traditionnelle chinoise. Ces préparations, souvent transmises de génération en génération, sont le reflet de ses connaissances approfondies en matière de botanique et de leurs applications curatives.
Parallèlement à cette tradition orale et pratique, un remarquable traité apocryphe lui est attribué : Le Classique des Organes Internes de Maître Hua. Bien que son authenticité directe soit sujette à débat parmi les historiens de la médecine, cet ouvrage est considéré comme une compilation influente de principes diagnostiques et thérapeutiques qui résonnent avec les innovations attribuées à Hua Tuo, notamment ses approches pionnières en chirurgie et en anesthésie. Il explore en détail les interconnexions complexes entre les organes internes, les méridiens et les pathologies, offrant une perspective holistique sur la santé et la maladie qui a profondément marqué le développement ultérieur de la médecine chinoise.
Le traité de médecine des Cinq Éléments de Hua To, œuvre fondamentale de la médecine chinoise ancienne, ne se contente pas de proposer des formules médicinales, mais les ancre dans une compréhension profonde de la physiologie et de la cosmologie. Ces formules intègrent des ingrédients alchimiques, tels que le Cinabre, une espèce minérale composée de sulfure de mercure, dont l’utilisation était alors courante pour ses propriétés réputées. L’action thérapeutique de ces remèdes est explicitement liée au travail des souffles, ou Qi, qui, selon la pensée taoïste, sont les forces vitales animant le corps et l’univers. La régulation et l’harmonisation de ces souffles sont donc au cœur de la démarche thérapeutique de Hua To, visant à restaurer l’équilibre énergétique du patient.
Parmi les contributions les plus célèbres de Hua To figure sa formule emblématique, souvent appelée la pilule de Hua To au Ginseng. Cette préparation est spécifiquement conçue pour contrer les effets débilitants de la fatigue chronique, apaiser les états de nervosité et d’agitation, et surtout, remédier à la perte de Jing, l’essence vitale. Le Jing est considéré comme le fondement de la vie, la substance primordiale qui nourrit le corps, l’esprit et l’âme. Sa diminution, souvent due au stress, à l’excès de travail ou au vieillissement, peut entraîner une multitude de maux. La pilule de Hua To, grâce à l’action tonifiante du Ginseng et d’autres composants synergiques, vise à reconstituer cette essence précieuse, renforçant ainsi la vitalité générale, la résilience mentale et la longévité.
Il est décédé à l’âge de 68 ans, malheureusement assassiné par Cao Cao, le dictateur des Trois Royaumes, un événement tragique qui a marqué la fin d’une vie dédiée au soin et à l’aide d’autrui. En analysant son parcours, il apparaît qu’il était un thérapeute itinérant, sillonnant les vastes territoires de l’époque pour offrir ses services médicaux et ses connaissances en herboristerie à ceux qui en avaient besoin, sans distinction de rang social. Sa vie était marquée par une simplicité désarmante, loin des fastes et des intrigues de la cour, et une générosité sans bornes, prodiguant ses remèdes et ses conseils avec une bienveillance inébranlable, souvent sans attendre de rétribution.
Un des disciples les plus remarquables de Hua Tuo, Wu Pu, incarnait parfaitement les principes de son maître. Il s’adonnait quotidiennement à la pratique des « Cinq exercices des animaux », une série de mouvements inspirés par les comportements du tigre, du cerf, de l’ours, du singe et de l’oiseau. Cette discipline rigoureuse et harmonieuse lui permit d’atteindre une longévité exceptionnelle, vivant bien au-delà de 100 ans, un témoignage vivant de l’efficacité de ces pratiques ancestrales.
Dans son ouvrage intitulé « Le Classique des cinq animaux », Wu Pu consigna non seulement les détails de ces exercices, mais il y cita également les enseignements fondamentaux de son professeur. Il rapporta ainsi les paroles de Hua Tuo, soulignant l’importance cruciale de l’exercice physique pour le corps humain. Cependant, Hua Tuo insistait sur une nuance essentielle : l’activité physique devait être pratiquée avec modération et discernement, sans jamais atteindre le point d’épuisement. Cette sagesse mettait en lumière l’équilibre délicat entre l’effort nécessaire au maintien de la vitalité et le respect des limites du corps, une philosophie qui résonne encore aujourd’hui dans les approches modernes de la santé et du bien-être.
Gérard Edde
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